La Descente du Coude

Quelques notes sur La descente du coude



Lorsqu'on m'a demandé de rédiger une biographie pour La descente du coude, c'est tout autre chose que j'ai entendu. Comme quoi l'oscillation qui venait faire vibrer mes oreilles se heurtait à une idée déjà ancienne; idée à laquelle j'avais du me résoudre, suite à un trop long silence: la mort anonyme d'un icône local du rock. Ainsi avais-je compris, par une douce distorsion de l'esprit, qu'on me demandait de rédiger une notice nécrologique à leur fin. Triste mais vrai que je me disais. Pas même née, cette légendre avait déjà reçu l'appel du trépas.



Appel qui, de mon côté, me ramenait aux premiers souvenirs que j'avais eu du band. C'était, si la mémoire m'est toujours fidèle, un soir d'été, où la lune, pleine, rivalisait avec les nuages en un ciel qui pouvait à chaque instant chavirer dans le plus violent orage. Entré par la porte arrière d'une salle qui portait bien son nom, j'étais tombé sur ce quatuor aux abords assez discrets et sans prétention. Il y avait là un batteur qui faisait mirer son coco-boule dans ses cymbales pendant que le bassiste, à genoux face à son ampli, semblait implorer sa grosse machine de lui accorder la juste fréquence qui se perdrait de toute façon dans la salade de son. La foule se laissait désirer, grillant ses ultimes secondes d'air frais sur le bord du trottoir, alors que le guitariste se claquait en solo solos sur solos sur sa fausse Fender, instrument qui aurait pu assurer la débandade de n'importe quel trippeux de gear. Alors s'avançait le chanteur, grand, croche et vouté, l'air maladroitement adolescent. Il jouait douteusement d'arrogance face à une salle hésitante à se remplir, teintait ses commentaires d'amertume mais les distribuait du sourire le plus inoffensif.



Pétard mouillé que j'me disais.



Et pourtant, boum!



Dès les premières notes, tout prenait forme: les mélodies emportaient la gêne, qui n'était autre qu'un défense vite levée. Des haut-parleurs s'échappait un timbre de sincérité. S'entendait dans le creux des vibrations une quête de sens. Et le salut se trouvait sur la piste de danse où les mains s'émancipaient enfin de leur poches. Les pieds fendaient l'air et d'un coup un éclair m'atteignait en plein coeur. Genoux par terre, je succombais à l'invitation d'une nuit véhémente de décharge et de transpiration. Le rythme secouait en moi les émotions mortes et martelait les comotions fortes. Je peinais et hurlais à la fois d'une joie rageuse, le sourire niais, pendu à des lèvres qui m'emmenaient parmi le silence de mes plus profonds secrets.



Le spectacle fini, j'avais la langue à terre, enterrée, perte totale; incapable d'exprimer ce qui venait de se produire devant et en moi. Musique tout à fait gauche, et pourtant réfléchie, jouée par une bande aux atours juvéniles mais recelant d'une indicible maturité, le tout était fort complexe et pourtant si simple. Le critique en moi était somme toute désarçonné. Ce n'était pas de l'électro-clash, ni de la saveur du jour pianotée un doigt à la fois, et pourtant, ça s'écoutait. Pas de soulier de toile, de ceinture studée, de pantalon étuve, pas même un tatou sur quelque peau que ce soit; bande anonyme, pas tant à part qu'éparse, et qui me gavait d'une émotion sans mèche noire. J'en perdais mes repères et curieusement, j'aimais.



Puis, du jour au lendemain, plus rien. La bête sonore qui m'avait assommé semblait s'être dissipée. Je la croyais dilluée dans le vaste horizon du Montréal culturel émergeant quand on vint m'adresser la demande du texte que voici: une biographie que je mépris pour un arrêt de mort. Aujourd'hui, frappé par la foudre correctrice de la vérité, je suis pris de remord. Mes oreilles saignent d'avoir cru entendre les sons du trépas. Mais ce chaud écoulement du fluide vital me ramène au plus fort sentiment d'existence. Oui, la Descente revit! Oui, monte en moi l'envie de la laisser m'éclater les tympans dans le plus pur délire mélodique! Oui, oui, oui! Alléluia!



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