dashiell hedayat

Location:
FR
Type:
Artist / Band / Musician
Genre:
Folk Rock / Glam / Progressive
J'ai desserre mon noeud de cravate, je pince les cordes d'une invisible guitare electrique, je me dehanche dans mes cuirs imaginaires, me revoici la pop star inconnue que je fus, la figure legendaire de l'underground parisien des early seventies - yeah ! je suis Dashiell Hedayat, je joue Obsolete. Je me lance dans ce long crescendo de la face B, Cielo drive.

Depuis que j'ai assigne un terme a ma vie, qui n'est autre que l'invivable, et que je vois s'amenuiser le vivable de jour en jour, de plus en plus souvent mon passe me revient ainsi par bouffees, sans que je le sollicite, comme ces fantasmes qui s'imposent soudain a nous avec toute l'insistance du desir au milieu de la morne routine quotidienne ; des souvenirs de jeunesse que j'aurais crus sinon a jamais effaces, du moins tres affadis. Mais l'affect m'assaille, vivace, acide : sons et couleurs électriques, odeur de hasch, flashes, décomposition du spectre lumineux, stridences des guitares slide, sueur et encens, volutes de fumée bleue, frisson du bois crissant sur la peau tendue d'une caisse claire, cuir moite du col comme un baiser au cou, cheveux dans les yeux, envolee d'un solo alors, ivresse, brefs riffs assourdissants et glissandos en vrille a la Jimi Hendrix.



Plus que souvenirs, moins que souvenirs, sensations, pures sensations : fatigue heureuse d'une nuit de defonce et d'impros, remanence du tempo dans loreille et les os, lumiere noire, amere saveur de l'herbe, quelques brins coinces entre les dents, envie a la fois de pleurer et de rire, hebetudes, etats limites, proches de la folie. Plaisir violent et neuf que je retrouve intact, sans ce flou habituel dont la nostalgie voile le passe, l'ombre au pastel, en estompe avec les joies et les souffrances. Aucun regret, si ce n'est de l'energie qui m'animait alors, qui me faisait consentir à la cruaute de l' existence, sa beaute rimbaldienne. Aubes batailleuses à Soho ! Dans Wardour Street, les reflets des neons criards qui sur le fog jaune sale écrivaient Night L'instant ou le feu de croisement dont seul clignotait lorange reprenait son mode diurne d'alternance tricolore, que nous attendions comme une promesse faite a nous seuls. Le ceremonial du shit et du shilom dans cet obscur basement tendu de vinyle bordeaux, a Bayswater, sous la reproduction d'un tryptique de Bacon ; j'y etais trois fois cet homme livide, malade, nu : - sous une ampoule nue, - aux chiottes, - vomissant dans le lavabo. Blues. Rock. Seances de pose avec Mick Rock, le photographe des stars. And all that., repetait inlassablement lami Syd Barrett, bottine de cuir orange au pied gauche, de cuir bleu au pied droit, campe sur son parquet aux lames peintes alternativement en bleu et orange, definitivement perdu dans son trip.

Dolce vita des nuits romaines, aussi, si je remonte encore un peu dans le temps. En juin 68, a l'heure ou les gaullistes remontaient les Champs-Elysees, Malraux et Debre bras dessus, bras dessous, je passais le pont de Lodi, et le bonheur etait une idee neuve pour moi. Apres trois jours de stop, je faisais une entree triomphale au Colisee, en chantant Che cosa ce ?

C'e che mi sono innamorato di te

J'avais vingt et un ans, et il me semble que je n'ai plus dormi de tout l' ete, cet ete-la. Je me souviens de mes deambulations sur le pave sonore, en compagnie des ragazzi de Pier Paolo, au Trastevere. Je me souviens d'Ugolino, de Luigino, de Nino. Comme je me souviens de Fabrizio-il-Magnifico, qui montait le grand escalier en pente douce du palais ou il logeait sur sa moto, pleins gaz. De nos improvisations de water music a la fontaine des Quatre Fleuves, Piazza Navona.

Mais je me souviens aussi de Fellini, entoure d' une meute de courtisans et marchant neanmoins du pas digne et mesure d'un monsignore, Piazza del Popolo -"Ciao, Federico !

L'ete suivant, ce seraient les paradis artificiels a l'Isola dei Galli. Charge d'acide, je me suis noye aux premiers accords d'Electric Ladyland, j'ai repris pied sur un rocher au son d'A Love Supreme.

Pierre Clementi m'a crie du haut de la terrasse :

Tu vois, la vie !.

Je me souviens des inventions poetiques avec Viva Superstar, et de ses larmes lorsque nous avons appris l'assassinat de Sharon Tate. Je me souviens de mes cadavres exquis avec Gerard Malanga.

Je me souviens du concert de Glastonbury, lorsque jai entonne face a cent mille spectateurs tous defonces Everybody Must Get Stoned.

Quoi d'autre encore ? La nappe en papier sur quoi j'ai jete les premières paroles de Chrysler, a la Coupole. Un buf sur un toit en Provence, du crépuscule a l'aube, une musique repetitive jouee à l'ordre positif, sous la nuit etoilee, une musique repetitive jouee a lorgue positif, sous la nuit etoilee - Steve Reich. Je me souviens de lectures publiques : Being, Le Bleu le bleu, Le Livre des morts-vivants. Au Festival d'automne, les spectateurs masques de loups qui me regarderent mimer une heure durant une agonie : premiere, et derniere, representation de ma piece Hop ! Hamlet. Cut ups avec William Burroughs : la vaste salle a manger vide du Piccadilly nous evoquait un paquebot qui coule tandis que l'orchestre, impavide, continue de jouer des standards.

Experiences ! Experiences etait le terme dont on qualifiait alors avec un serieux un rien risible ces delires plus ou moins reflechis.

JACK-ALAIN LÉGER
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